
Peinture: Zoran MUSIC
Le nom de ce lieu sinistre ne pourra jamais rimer au bout d’un vers.
Ce mot ne peut se dire sans baisser la voix, oh, juste un petit peu, mais il le faut.
Ce mot est un enfer, un enfer voulu, bâti, agi par des hommes…qui sont déchus de ce titre pour toujours, vivants ou non.
Et c’est pire que l’enfer de toutes les religions, parce que c’est un enfer artefact.
Les démons qui y oeuvraient, poussaient à l’infini l’action d’une volonté dépravée.
Et ils faisaient leur « travail » avec application et discipline, mais hors du champ de ce que nous appelons Conscience.
Leur crime a été nommé génocide, crime contre l’espèce humaine, crime contre toute civilisation, contre tout état de droit.
L’administration d’un état, à l’origine hautement civilisé, ses polices, ses justices, ses administrations, se sont mises au service de criminels et ont été complices sans protester et leurs délits ont été inusités et terrifiants.
Des religions, sans doute en tant qu’organisations constituées, ont détourné les yeux, d’autant plus coupable que les victimes désignées étaient pratiquante d’une des trois religions du Livre, le Judaïsme. Des petites gens, employés de chemin de fer de la Reich Bahn ont transporté des millions d’hommes, femmes, enfants, vers les camps de la mort. De grands industriels ont été des complices par intention ou non, mais ils ont bâti des entreprises aux rives de camps, à l’orée des barbelés et sous le vent des crématoires. Ils ont exploité les esclaves du nazisme sans sourciller. Tout cela est su. Et il faut le répéter sans cesse car un silence de plus en plus pesant tend à recouvrir ces vérités épouvantables. Le silence rend complice. Même à notre époque, 70 ans après, il faut y penser.
Le vingtième siècle aura accouché de deux monstruosités en même temps : Le massacre des masses dans des camps et la fission nucléaire des deux bombes atomiques lâchées sur le Japon.
On a ainsi créé, développé, entretenu la technologie de la mort. On a industrialisé l’holocauste. On a associé à sa mise en oeuvre le concept économique du rendement, celui du productivisme : « Combien de gazés par jour » ? Jamais assez…« Combien de tués annihilés en une fois, dans quel rayon ? Pour quel coût? Cela revient moins cher que de continuer la guerre encore un an, …Alors frappons à Hiroshima, calcinons Nagasaki ! »
Et la loi du silence, l’omerta, le « Narcht und Nebel » tissé sur tout cela…ou, ce qui revient au même, les tentatives pour nier l’injustifiable, diluer les responsabilités, organiser le travestissement de l’Histoire. Les rescapés ont peu parlé, finalement. Ils avaient peur de ne pas être crus. Ils répugnaient à attirer l’attention sur eux…Ils se sont terrés ? Ils ont fui vers la sécurité que leur offrait l’Amérique anglo-saxonne ou le jeune état d’Israël.
Il en résulte qu’en tant qu’être humain, je n’ai plus une très grande confiance dans les institutions humaines…
Consciences, consciences, comme vous pesez peu entre les mains des gourous, des faux prophètes, des manipulateurs de foules, des scientifiques sans état d’âme, des autorités stipendiées et conquises par les délires des idéologues, des économistes à la solde des marchés. Je n’ai plus confiance en un ordre établi. Tous les « responsables » me semblent suspects de pouvoir se transformer en monstres…si le contexte les pousse à cela, si notre indifférence ou notre pusillanimité le leur permet.
Auschwitz, tu fais parti des lieux hantés à jamais. Je ne t’ai jamais visité.
Le Struthof, si, je l’ai fait…par devoir.
Je n’ai pas tenu dix minutes dans le couloir de la baraque où on torturait, où on faisait des « expériences » médicales, avec sous mes pieds l’installation du crématoire dont la vapeur était récupérée pour chauffer les antres des bourreaux.
Je n’ai pas tenu.
« Ils » étaient tous là, les fantômes des victimes…Je me suis senti tellement coupable d’y être, moi aussi, vivant, en bonne santé…menacé par personne…dans un pays en paix.
J’avais surtout peur du voyeurisme, du sel du morbide d’une esthétique de l’horreur. Est-ce qu’on est bien sûr de ne pas avoir un début de ces maladies là, lorsqu’on se rend dans de tels lieux ?
Il y a une force immense qui vous broie, là, dans l’enceinte des barbelés, au pied des miradors, dans les baraques à châlits… Lieux « de mémoire » ? Pas seulement. Ce ne sont pas des rappels didactiques, des pense-bêtes pour comprendre qu’il existe un ordre noir, une confrérie de barbares, une fraternité des bourreaux…Non, c’est plus que cela. C’est inhumain. C’est une injure à l’âme, comme un crachat en pleine gueule de notre esprit. Notre sensibilité y est broyée. C’est la somme intégrale de toutes nos peurs, rendues concrètes et infligés à nous même par l’intermédiaire du travail des bourreaux qui s’expose ici. Ce n’est même pas du terrorisme d’Etat qui s’est exercé là. C’est de la démence contrôlée. Et nous ne pouvons plus rien. C’est fait.
Que dire aux fantômes des victimes ? Il faut parler aux fantômes, je crois. Peut-on les apaiser ? Notre innocence est morte avec eux. Nous ne serons plus jamais innocents.
Pensons-y souvent ! Pensons-y toujours !
Que le grain ne meure
Cela est ma Passion.
Que la Raison demeure
Et c’est-là ma mission.
Que l’Amour soit au monde.
Qu’il nous baigne, apaisant.
Qu’il nous soit comme l’onde
Lustral et frémissant.
Aux ordres, soyons de ces rebelles
Qui refusent en criant :
Plus jamais, ni « Narcht », ni « Nebel »…
De désobéir, nous reviendra l’espoir :
Seule notre humanité doit écrire l’Histoire.
H.A.